Alors que je me prépare à crapahuter face au Mont-Blanc jusqu’au Brévent (à l’altitude glorieuse de 2525 mètres), j’ai découvert cette semaine le phénomène de société autour de Kaizen, le film du Youtuber Inoxtag qui raconte son projet d’arriver au sommet de l’Everest avec un an de préparation. Le film est sorti le 13 septembre 2024 avec un plan de communication qui rend difficile d’échapper à cette histoire.
L’annonce du projet avait été suivie d’une avalanche (pardon) de critiques sur les réseaux sociaux. Le personnage est tellement exposé que c’était inévitable. Internet as usual. J’ai entendu ça, mais mon décrochage des réseaux sociaux m’a écarté de ce drama. C’est revenu en boomerang avec la sortie du film et Youtube qui me le proposait tous les jours à la visualisation. Je n’ai pas cliqué de prime abord mais quand Patrick B. m’a conseillé avec une bienveillante insistance de le regarder j’ai fini par me plonger dans l’histoire. Patrick évoquait notre ascension du Mont-Blanc et les souvenirs associés pour m’encourager à regarder Kaizen. Je pense que je n’ai pas trop usé mes “bragging rights” à propos de cette ascension tant j’ai le sentiment d’avoir été con d’aborder la Montagne comme je l’avais fait... J’ai l’impression d’avoir trahi mon besoin de romantisme en faisant l’ascension du Mont-Blanc selon un mode “commando cheap”. Je m’explique : nous sommes montés sans aucune préparation à la haute montagne (zéro acclimatation), encadrés par un guide renommé que je connaissais, en partant de la vallée vers minuit pour tout grimper à pied. J’étais plutôt très entraîné à l’époque mais j’ai sous-estimé l’entreprise et mon vécu majeur de l’ascension c’est mon inaptitude au dessus de 4000 mètres. J’ai ce souvenir marquant d’avancer à pas d’escargot en ayant le cerveau complètement cramé par l’hypoxie. je me demandais quel était le prénom de mon pote là devant moi à quelques mètres et je m’inquiétais d’être autant dans les choux. Je ne me reconnaissais pas. Bref, j’ai le sentiment d’avoir fait le malin et de m’être pris une déculottée.
J’ai donc regardé Kaizen. TL;DR c’est une belle production et on peut facilement accrocher avec quelques poncifs. En tant que parent on ne peut qu’apprécier le message “sortez des écrans, bougez-vous !”.
Mais ça, ça n’est qu’une première impression ! Saisi par le phénomène de société j’ai eu envie de creuser et j’ai écouté pas mal d’émissions autour de Kaizen puis j’ai discuté avec un max de monde au travail (surtout les plus jeunes) pour prendre leurs avis.
Beaucoup trouvent Inoxtag attachant, il y a un phénomène générationnel pour ces gens entre 20 et 30 ans qui l’ont vu grandir dans leurs réseaux, je comprends, c’est intégré à leur culture. Je n’ai jamais été *fan* de quelqu’un, d’un groupe. Du coup, rien que ça, ça m’intrigue ! Quand j’écoute ce qu’Inox raconte, je suis super crispé par les tics de langage et l’individualisme forcené qui transpire à tous les étages. Oui, il est bien répété que c’est une grande équipe qui a permis l’aventure, mais oui Inox nous ressort à toutes les sauces qu’il faut *se choisir ses rêves*, grands ou petits, et y aller. C’est la réalisation dans l’individualisme. Ensuite, le deuxième dan s’acquièrent en s’améliorant soi-même, en tordant le concept de kaizen (d’après ce que je comprends c’est une conception très nippone de petites améliorations que chacun doit trouver au service de l’entreprise) pour coller avec du développement personnel. Après avoir boulotté des bouquins plus ou moins cuculs sur cette thématique, je dois bien dire que ces injonctions me fatiguent par leur simplisme (néologisme que je m’offre). Pour revenir au film et aux réactions, j’accepte très bien qu’il y ait une multitude de points de vue. Des gens peuvent avoir plus ou moins de visibilité pour diffuser leurs idées et dans ce domaine, encore une fois, le gagnant rafle tout. J’accepte assez bien la confidentialité de ce que je partage ahaha ! Tout en continuant de rêver que l’on recrée une société où les petits groupes autour de soi aient de l’importance et qu’on oriente nos actions pour le groupe, que ça soit valorisé !
Dans Kaizen, pour moi, le problème c’est l’Everest. Choisir cette montagne c’est foncer dans le cliché. Je pense que j’aurais été plus sensible si j’avais vu un film sur la découverte de la montagne et du mouvement en nature. Bien sûr l’entreprise commerciale n’aurait pas été la même mais à mon sens les valeurs partagées étaient les mêmes avec une once d’humilité qui embellirait le messager.
Au final, je pense que les discussions qu’offre ce film sont intéressantes. J’avoue que j’ai du mal à acheter la sincérité du message quand on comprend à quel point tout ça est réfléchi et orchestré. L’épreuve du temps contribuera à crédibiliser Inoxtag dans sa démarche. Je pense que l’épanouissement sur un temps long est un sujet que j’aurais aimé aborder dans cette note mais je me demande aussi si ça n’est pas qu’un argument de vieux qui pensent qu’il faut du temps pour tout et que des quêtes tout azimuth ne font que nier la réalité de notre finitude.
P.S. vingt jours après le lancement le plus réussi du YouTube françophone, la vidéo a été vue 35 millions de fois ! D’après plusieurs sites webs, les bénéfices dépassent 2 millions d’euros. Est-ce qu’Inoxtag va rendre à la Montagne une partie de ce qu’elle lui a donné ?
Merci Rémi pour ce billet et pour le clin d'oeil ! Et oui, nous ne sommes pas grand chose au dessus de 4000m, il n'y a pas que toi! Mais le souvenir de cette aventure/épopée/galère (rayez les mentions inutiles) n'a pas de prix ! Merci encore donc!
Je n'ai pas vu le film. Je le verrai un de ces jours. Je ne pense pas que ce soit un sujet très nouveau et je m'attends à ne pas être surpris, si je me fie aux retours positifs ou négatifs que j'entends.