Récemment, j’ai eu 5 patients à la suite en consultation avec des histoires foireuses d’allergies médicamenteuses, pour 4 d’entre eux il s’agissait de la fameuse « allergie à la pénicilline ». C’était un signe pour creuser le sujet. Ça faisait longtemps que je n’avais pas appris autant de trucs qui améliorent mes pratiques en creusant un sujet.
1) il faut arrêter de parler d’allergie à la pénicilline, aux béta-lactamines, d’allergie aux céphalosporines en sous entendant toute la classe. Il faut parler précisément d’une molécule car il n’y a pas d’allergie de classe comme le langage tant à le suggérer. La problématique de l’allergie croisée n’existe que pour une poignée de molécules qui ont des caractéristiques chimiques communes.
2) la céfazoline (beaucoup utilisée en antibioprophylaxie au bloc opératoire) par la conformation de sa molécule parait être safe dans 99,99% des cas. On aimerait une évolution des recommandations médicales. Il me parait possible d’évaluer le risque de risque allergique patenté avec des critères précis et de savoir proposer cette céphalosporine quand le risque est très faible.
3a) un simple rash cutané isolé ne témoigne pas d’une réaction allergique autrement appelée hypersensibilité de type 1, ou encore dite Ig-E médiée. Les réactions allergiques Ig-E médiée surviennent dans l’heure après l’exposition. Concernant les signes cutanés, il faut bien chercher une urticaire ou un angiœdème. Il y a dans l’article du NEJM de 2019 en bibliographie de cet article une belle illustration de la physiopathologie différenciant réaction de Type 1 (Ig-E médiée), type II (Ig G et activation du complément), type III (CIC). Les réactions cutanées graves (PEAG, Lyell, DRESS) sont liées à une activation cellulaire (lymphocyte T CD4+ ou CD8+)
3b) une éruption cutanée isolée apparaissant plusieurs jours après la prise de l’antibiotique et durant plusieurs jours est probablement la manifestation la plus bénigne. Il s’agit d’une réaction induite par une activation cellulaire, avec une participation œsinophile probable. Si l’on est témoin de ce genre de rash maculo-papulaire, il est important de s’assurer qu’il n’y a pas d’atteinte muqueuse ou de signe de gravité pour écarter une manifestation de type IV sévère
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4) on peut guérir d’une réaction allergique avec une pénicilline. Il est estimé que 10 ans après la réaction, 80% des patients perdent leur hypersensibilité.
5) L’utilisation d’un autre antibiotique à cause de l’étiquette « allergie à la pénicilline » expose à une augmentation du risque d’infection du site opératoire et dégrade le pronostic en contexte de soins aigus.
6) L’étiquette « allergie à la pénicilline » concernent à peu près 10% de la population. Parmi ces 10% il y n’y aurait qu’environ 10% des patients qui seraient véritablement atteint d’une hypersensibilité de type 1
Je vous ai dit l’essentiel ! si vous creusez un peu la biblio et notamment le super article de Josh Farkas dans son Internet Book of Critical Care, vous développerez rapidement vos connaissances sur le sujet ! Cet article est particulièrement bien pour comprendre les différentes configurations des molécules de béta-lactamines. Le caractère allergisant est principalement déterminé par les chaines latérales R1 et R2 qui se greffent au noyau moléculaire. Ainsi, des molécules de la classe des pénicillines et des céphalosporines peuvent avoir une chaîne latéral R1 en commun et alors le risque allergique serait à prendre en compte (ex amoxicilline et céfamandole)
En étudiant les molécules, une matrice a été créée permettant d’identifier les molécules à risque d’allergie croisée. La céfazoline a la particularité de ne rien avoir en commun avec les autres béta-lactamines, son usage parait donc très safe même avec la notion d’allergie à la pénicilline.
Avec ces lectures, j’ai vraiment envie de participer au désetiquettage des patients. En consultation, je fais donc mon petit laïus sur la nécessité de voir un allergologue pour parler de tout ça et faire des tests. J’explique qu’il n’y aucune urgence, qu’on va procéder à l’opération pour laquelle je les vois sans retard, mais qu’il serait très utile de voir un allergologue dans l’année pour faire le point. J’explique aussi que ça va prendre du temps avec pour point final le test de réintroduction oral sous surveillance médicale. @PhilAllergie m’a aidé à rédiger ce courrier type :
Au cours de votre consultation, vous avez évoqué une « allergie à la pénicilline » qui témoigne d’une réaction survenue au cours de la prise d’un antibiotique de cette famille.
Cette famille d’antibiotiques peut vous sauver la vie en cas d’urgence : il est nécessaire de ne pas rester dans le flou mais d’être certain qu’il y a ou non une allergie et si il y en a une de savoir quelles sont les alternatives dans votre cas.
De nombreuses réactions ne sont pas des vraies allergies mais des réactions au microbe, à l’association microbe-médicament ou à d’autres médicaments.
Parfois même les allergies authentiques ont guérit.Il ne faut pas rester dans le doute et je vous conseille de profiter de votre bonne santé actuelle pour prendre rendez-vous auprès d’un médecin allergologue afin d’éclaircir ce point.
Depuis quelques années que je fais ça, j’ai eu quelques retours intéressants avec du désetiquettage de patients chez qui c’était particulièrement pertinent (pathologie favorisant infection ou pathologie respiratoire chronique par exemple). Il reste vrai que ça reste un sujet “de niche”. Les consultations d’allergologie ont des délais et les patients perdent parfois le fil. Je crois que c’est un service important qui est rendu au patient et je vous serais gré de partager cette note pour développer un “delabeling” ciblé sur les plus fragiles et/ou sur les réactions allergiques les plus inquiétantes. De nouvelles recommandations de la Société Française d’Anesthésie-Réanimation doivent arriver début 2024 sur les réactions allergiques, hâte de lire ça !
L’essentiel de ce billet avait été publié sur mon précédent blog. Je voudrais aujourd’hui refaire circuler cette discussion autour du désetiquettage des patients. C’est coûteux en temps mais ça peut rendre tellement service… merci pour le partage de cette note dans votre entourage, surtout si vous êtes soignant.
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Idem, quelle bataille en CPA! Du bon sens surtout! Et comme tu dis, l’atbprophylaxie alternative est tjs moins efficace.cf nouvelles RFE SFAR.
Les canadiens très pragmatiques, comme svt les anglosaxons, ont émis des recos pour balayer ces étiquettes « allergie peni » (pénible).
Bonne journée