Cholestérol, mensonges et désinformation
De la complexité de la prescription individualisée & des biais cognitifs
J’ai mal démarré mon histoire avec le cholestérol. Je ne me souviens pas de cours intéressant à la fac à ce sujet. Je me suis perdu dans des lectures de bouquins de “nutrition” où chaque auteur crée sa micro-religion autour de ses croyances. J’ai ainsi lu plusieurs livres des éditions Thierry Souccar quand j’avais la trentaine (j’en parle aussi dans cette note). Parmi ceux-ci, j’ai lu “Cholestérol, mensonges et propagande” écrit par Michel de Lorgeril. Ce que je retiens quinze ans après c’est la critique du rôle central du cholestérol dans l’athérosclérose et surtout la démonstration que les grands essais cliniques sur les statines (médicaments baissant le cholestérol dans le sang) étaient manipulés par l’industrie pharmaceutique. L’un des arguments centraux était qu’il existait une grande différence entre des études réalisées avant et après des contraintes réglementaires sévères autour des essais cliniques. Michel de Lorgeril, co-auteur d’une étude scientifique sur le régime méditerranéen, insistait sur l’importance d’un mode de vie globalement sain pour limiter le risque d’athérosclérose. Le TL;DR c’est “Big Pharma salauds ! mangez des tomates fraîches à l’huile d’olive !” Ça m’arrangeait bien parce que mon taux de cholestérol sanguin a toujours eu une “tendance haute” (1,33 g/l de LDL-C à 30 ans.) et que je voulais faire un peu l’autruche… Ensuite, mes intérêts ont divergé de ces lectures.
Je suis revenu sur ce sujet à travers les réseaux sociaux où j’étais enclin à bien m’entendre et à apprécier les collègues qui communiquent autour d’une médecine basée sur les preuves. Ainsi, le message qui s’ancre en moi est : il faut donner une statine aux patients qui ont fait un évènement cardio-vasculaire. En prévention “pure” (on dit prévention primaire en médecine) ça parait inopportun de faire baisser le taux de cholestérol sans plus de contexte y encourageant franchement. Comme dans la majorité des connaissances médicales, ces “règles” sont déduites d’études sur des population. On étudie 1000 personnes qui viennent de faire un infarctus, on donne un placebo à 500 et une statine aux 500 autres et au bout d’un temps prédéfini on regarde le devenir de ces personnes. S’il y a 50 récidives dans le groupe placebo et 10 dans le groupe statine, on se dit que le médicament “fonctionne” et on le recommande aux gens qui viennent de faire un infarctus. Le médecin qui va prescrire une statine en post-infarctus va contribuer à éviter X récidives. La science biomédicale nous dit qu’en donnant une statine à 40 personnes souffrant d’athérosclérose patente, on évite une récidive d’évènement en 5 ans. En montrant les chiffres comme ça, vous voyez qu’il est compliqué de savoir qui va réellement bénéficier du traitement. En caricaturant, 39 personnes auront pris le médicament sans bénéfice palpable à 5 ans, pire certains auront des effets indésirables du médicament. Vous voyez ici une des nombreuses modalités d’affrontement de l’incertitude en médecine.
On avance encore un peu dans le temps, j’écoute beaucoup les podcasts de Peter Attia, quasi tous les sujets m’intéressent, le prisme par lequel ils sont traités, pas toujours. Néanmoins, il y a une grande série sur le “cholestérol” avec le Dr Thomas Dayspring, lipidologue, qui balaye très largement la physiologie et les aspects pathologiques du transport du cholestérol. C’est compliqué mais c’est intéressant. Je découvre pleins de choses : la lipoprotéine (a) abrégée Lp(a), apolipoprotéine B, les “nouveaux” médicaments, etc. J’écris alors des notes sur ce sujet en espérant nouer des dialogues avec des collègues mais ça n’a pas l’air d’intéresser grand monde. Je n’ai pas su partager mon intérêt sur ce thème. Là encore, avec le recul, je comprends un peu de travers certains concepts mais quelques idées clefs restent : le nombre de petites particules transportant du cholestérol est un facteur clé dans la genèse de l’athérosclérose, on n’exprime pas forcément très bien ce risque avec la concentration plasmatique du cholestérol et le dosage de l’apolipoprotéine B peut affiner la compréhension, surtout si le patient a un syndrome métabolique.
2024. Mon utilisation de X est sporadique. Mais je l’ouvre de temps en temps en sachant que le plus intéressant seront dans les dix premiers tweets de ma timeline. Et, là, un jour de décembre 2024, je tombe sur un tweet de Thomas Dayspring.
https://x.com/Drlipid/status/1863361600305910049
Et là je suis scotché. Le tableau exprime la répartition dans la population américaine indemne de statine. Je cherche les chiffres français. Je trouve les mêmes. La vache, je suis bien au-dessus de la moyenne. J’ai mis “without deviation from the normal, there is no progress” sur le frontispice de mon blog mais là ça ne colle pas ahahah ! Je retombe dans le “rabbit hole” du cholestérol en médecine…
J’ai refait le tour de mes biais et croyances en ressortant un vieil article qui attendait sa lecture dans un dossier. Ces fameux trucs “à lire un jour”. C’est un article qui traite de l’impact des statines sur les mitochondries. Mon cerveau était parasité par “les gros titres” de ce papier alors que je ne l’avais pas vraiment lu. J’avais ainsi en tête que les statines pouvaient avoir une forme de “toxicité mitochondriale” comme la metformine peut avoir. J’ai donc pris le temps de lire vraiment le papier, d’aller voir des éléments de la biblio et de croiser les références. Je sais que le peer-reviewing n’est pas dénué de problèmes mais je ne comprends pas comment un tel papier passe dans une revue qui annonce un impact factor de 3,6. Je pense que l’aspect “complotiste” de ce genre de thèse contribue amplement à la visibilité de ces propos mais intrinsèquement ça ne vaut pas tripette sur le plan scientifique. A lire les auteurs, les statines serait un équivalent de cyanure ! Comment peut-on tenir des propos si catastrophiste alors que ça fait trente ans que ces médicaments sont prescrits à des millions de personnes ? Bref, je comprends que je me suis embourbé sur le sujet des statines et du cholestérol. Mes traits de personnalités qui tendent à aimer les hypothèses alternatives s’alignent facilement avec des gens aux propos tordus. Je pourrais être un client pour les discours complotistes ! Heureusement, je sais aussi remettre une couche de critique et de recul sur ce que je lis et là je vois un nouvel exemple dans mon histoire d’aller-retour sur un sujet pour mieux le cerner… De façon amusante, j’ai souri lorsque j’ai vu que Gérard Bronner, le sociologue, qui a tant écrit sur le complotisme a lui aussi eu des périodes de croyances irrationnelles. I am not alone !!
Au final, aujourd’hui, je pense que l’athérosclérose est une maladie “insidieuse” qui se développe sur un temps long, voire très long et que les particules de transport du cholestérol et des triglycérides qu’on nomme par raccourci “LDL-C” en médecine sont bien impliquées dans la genèse de l’athérosclérose. Ainsi, ça fait sens pour moi de baisser ce taux de LDL-C dans le plasma pour limiter le risque d’athérosclérose. Je reconnais qu’il n’y a pas de données scientifiques implacables pour soutenir cette idée. On a déjà eu des échecs en essayant de baisser coûte que coûte un paramètre biologique qu’on imaginait néfaste. Néanmoins, je crois beaucoup à l’attention aux antécédents familiaux comme une forme de prémonition quant à nos fragilités latentes qui se développeront avec le temps. Je n’associe pas ça à une forme de fatalité mais je le prends comme un élément fort pour jauger la balance bénéfice/risque en prévention primaire. Peut-être que mon raisonnement s’inscrit dans une forme de manipulation de la biologie visant la longévité et que ça sort de la médecine, c’est un territoire mental flou pour moi. Quoiqu’il en soit, j’espère sincèrement que ce post va permettre plus de discussions sur le sujet parce que ça m’intéresse beaucoup de discuter de tout ça avec vous. A bientôt !
Ce billet a été écrit face au Mont Mirantin avec DJ JC dans les oreilles et un peu froid aux orteils.
P.S. en nageant un midi j’ai fait une expérience de pensée où le risque annuel d’évènement cardio-vasculaire était de 2% avec un LDL-C à 0,7 et où le risque était à 4% avec un LDL-C à 1,5. ces chiffres sont arbitraires, tout ce que je veux illustrer c’est qu’une exposition de longue durée au risque “LDL-C” se “compose” au cours du temps, le risque accélère.
De Lorgeril... le mec qui hurle aux conflits d'intérêt mais qui reçoit des financements de Barilla
Salut
Comme toi j'essaie de paner les tweets de Dayspring mais c'est très poussé
Je suis médecin vasculaire et je vois de l'atherome tous les jours, chez des gens qui n'ont aucun facteur de risque, et je vois des personnes fumeuses à 50PA, obèses et non sportifs sans aucune trace d'athérome et score calcique à 0...va comprendre
Si tu peux assister aux conférences de la European Atherosclerosis Society ca aide à comprendre pas mal !