Le sport bouche-t-il vos artères coronaires ?
Les sciences biomédicales sont complexes épisode 3248
Il y a pile onze années j’avais été secoués dans mes convictions par la découverte de la possibilité que les sports d’endurance créent des lésions vasculaires et participent à l’athérosclérose. J’avais alors fait quelques billets de blogs, je cherchais du biais de confirmation et je trifouillais les papiers sur ce sujet pour faire du cherry-picking (choisir les arguments qui m’arrangeaient). Le cardiologue médiatique sur ce sujet à l’époque c’est James O’Keefe.
J’ai trouvé ses propos exagérés. Je me disais qu’il y avait une forme de fear-mongering (création d’un climat de peur pour déclencher la consommation) et de construction d’un narratif pour se mettre en valeur. Pour en rajouter une couche, il y avait eu la fameuse étude danoise qui associait grosse activité physique à moins bonne santé. J’ai passé du temps à décortiquer l’étude danoise (plus sérieusement que du cherry-picking pour tweeter à l’emporte-pièce) et j’ai quand même trouvé (comme d’autres) qu’il y avait des gros éléments de fragilité dans les conclusions de l’équipe danoise.
En tout cas, un signal d’alerte s’est allumé. Et s’il y a un message important dans tout ça c’est que le sport n’immunise pas contre les maladies.
On avance rapidement à aujourd'hui, les inepties des réseaux sociaux autour du “prédiabète” de Lionel Sanders me replonge dans la littérature sur les risques de pathologies associés à la pratique assidue du sport. Je relis mes anciennes notes sur le sujet. Je me souviens aussi d’un email personnel du Pr BD Levine qui m’enjoignait à suivre les résultats de la cohorte de la Cooper Clinic. Le Pr Levine semblait moins alarmiste que d’autres cardiologues. Je cherche ses dernières publications et, heureux hasard, je trouve une revue récente sur le sujet des lésions coronaires et haut niveau de pratique sportive.
Le sujet est compliqué et je vous livre d’emblée le noeud de l’affaire : le sport est connu pour améliorer la santé globale et cardio-vasculaire MAIS le sport pourrait provoquer des lésions dans les artères coronaires. Il y a donc un paradoxe.
Plusieurs cohortes indépendantes, dans des pays différents, ont montré que les sportifs d’endurance ont des scores calciques plus élevés que des sujets contrôles.
Le score calcique c’est un chiffre pour jauger les calcifications sur les artères coronaires lors d’un scanner. C’est un examen qui existe depuis peu de temps à l’échelle des pratiques médicales. Pour être simpliste, il permettrait de voir des lésions coronaires de façon peu invasive comparé à la coronarographie (qui demande une ponction, du produit de contraste, etc.)
Les sujet contrôles, sont des sujets ressemblant en tout point aux sujets sportifs, sauf pour leur pratique sportive.
Il y a donc des sportifs, dénués de facteurs de risques cardio-vasculaires particuliers, qui font plus de lésions coronaires que des gens du même âge qui font moins de sport. On est donc tenté de dire que le sport peut provoquer des lésions coronaires.
La question suivante est : ces lésions vont elles aboutir à des évènements cliniques ? Infarctus, troubles du rythme, mort subite, etc. C’est ça qui compte. L’intuition nous souffle que ça ne peut pas être catastrophique puisqu’on sait depuis longtemps que les sportifs d’endurance ont globalement une meilleure santé cardio-vasculaire. Si l’impact sur les coronaires était très puissant on aurait eu un signal avant le déploiement des scanners coronaires.
Mais l’intuition est une arme à double tranchant et une conduite plus scientifique nous est offerte par la cohorte texane dont je parlais plus haut. Dans ce groupe, on confirme bien qu’en faisant beaucoup d’activité physique on détecte plus de calcifications dans les artères coronaires mais sur une longue période de recrutement (de 1998 à 2013) il n’y a pas eu de signal de surmortalité chez les sujets faisant beaucoup de sport avec des calcifications coronaires (OR 0,77 avec intervalle de confiance passant 1 dans le tableau ci-dessous).
Les sujets dans cette cohorte ont plutôt dans la cinquantaine pour ceux qui n’ont pas de calcifications coronaires et plutôt soixante pour ceux avec CAC > 100 AU.
On retombe sur le facteur temps (durée d’exposition) qui me parait si important quand on réfléchit sur l’athérosclérose. Cette maladie insidieuse provoque des évènements cliniques qui peuvent tomber comme un couperet sans crier gare (la mort subite) mais elle peut se développer très longtemps sans s’exprimer cliniquement, c’est très fourbe. Et si l’étude texane nous rassure à court terme, je me demande si la fenêtre de suivi n’est pas trop courte (et/ou qu’il manque de sujets) pour voir un signal. Je n’ai pas trouvé la durée de suivi pour chaque sujet, on sait qu’ils ont été suivi au moins un an mais il ne faut pas retenir que ces sujets ont tous été suivi 10 ans en lisant “decade of follow-up” dans l’article. Il s’agit d’un registre progressif de 1998 à 2013. Certains sujets ont pu commencer le suivi en 1998, d’autres en 2013.
Bref, aujourd’hui, on ne sait pas si ces lésions coronaires sont une forme d’incidentalome sans conséquence à court terme ou si c’est une réelle sonnette d’alarme. Encore une fois en Médecine on navigue dans l’incertitude.
Pour revenir au papier de revue du sujet, j’ai trouvé super intéressant qu’il traite des différentes cohortes et les différences subtiles dans les conclusions des différents groupes (nature des plaques). Il y a beaucoup de paramètres qui rentrent en compte et disséquer ce problème précisément demanderait trop de ressources… on peut différencier les gens qui ont fait du sport toute leur vie (jeunesse incluse), de ceux qui démarrent plus tardivement, les anciens fumeurs, ceux qui se mettent au sport pour contrer un problème de santé (prise de poids, HTA, début de syndrome métabolique ?), etc. et cette nuée de facteurs complique le transfert à une application pratique…
Les messages clés restent simples face à cette complexité :
Le sport n’immunise pas contre les maladies.
Côté médical, il faut considérer avec attention un sportif qui se plaint de quelque chose d’anormal.
Côté sportif, il faut s’arrêter et consulter si on ressent un symptôme anormal : essoufflement inhabituel, faiblesse et surtout douleur constrictive dans la poitrine !! A l’effort on s’arrête et on fait le 15 sur son téléphone.
Les sportifs avec un CAC positif peuvent continuer le sport. Le bénéfice du sport continue de surpasser ce risque mal cerné de lésion coronaire. Chacun dialoguera pour arbitrer la pratique en terme de volume et d’intensité.
Ce sujet est compliqué, je vous remercie de m’avoir lu jusqu’au bout.
PS j’ai bien aimé me replonger ans tous ces articles, il y a des détails qui m’ont marqué, je vous les livre ‘en vrac’.
Dans la CCLS, les sujets ont un BMI à 27 !
Il y a 10% de fumeurs c’est incroyable ! (Ok les consommations globales de tabac sont au ras des pâquerettes mais tout de même !!)
Les taux HBA1c de ces sportifs amateurs sont à 5,5% en moyenne
Il y a une cinquantaine de sportifs dans la CCLS qui font 10 000 MET-min par semaine ??!! régulièrement ? sérieusement ? Ca me parait énorme et je me pose des questions quant à la qualité du calcul pour ces gens et donc du calcul en général… Ca serait super si ces cohortes utilisaient les données produites par les montres de sport pour consolider leurs datas
La cohorte belge de Leuven qui a différencié les sportifs de longue date d’un démarrage plus tardif rapporte un signal un peu inquiétant avec la possibilité d’une augmentation des sténoses proximales dans le groupe “lifelong athletes”
Le facteur temps d’exposition semble beaucoup jouer… bientôt le sport d’endurance classé facteur de risque CV paradoxal ? Détermination d’un cut-off après pratique de dix milliers d’heures ? ou équivalent en MET-h ? Sur 10 ans à date d’aujourd’hui j’ai fait approximativement 4800 entraînements soit 5000 heures de sport. En étant quasi toujours à plus de 3000 MET-min par semaine
J’ai compris comment afficher les MET-h ou MET-min dans intervals.icu, je peux vous y aider si besoin. (C’est une approximation basée sur les calories dépensées pendant l’activité)
PPS mai 2025 : merci au Dr Florian Zores de m’avoir fait suivre cette nouvelle étude de la CCLS
Merci pour le partage!
SI je lis bien le tableau de la cohorte texanne, les personnes qui font le plus de sport sont celles qui ont le risque le plus bas de mortalité totale ou CV. Certes ça manque de puissance statistique parce qu'on est dans un monde de petits nombres d'évènements, mais au moins il n'y aucun signal d'augmentation de la mortalité, et plutôt une tendance à la baisse
Le score calcique c'est quand même le truc qui sert globalement à rien. Une plaque calcifiée est une plaque stable. Les plaques instables sont molles et pas visible au coroscanner. Les scores calciques élevés sont associés à un risque accru d'évènement parce que ça reflète une charge d'athérome élevée. Mettre le cut-off à 100 UA, c'est débile puisque toute la littérature (discutable) du score calcique fixe le haut risque à 400 UA et plus. Pour schématiser, tu as ici des personnes (ce ne sont pas des patients) avec un charge d'athérome modeste surtout calcifiée, vs d'autres personnes pas/moins sportives qui auront un score calcique plus bas mais un risque plus haut, parce qu'ayant la même charge d'athérome mais pas calcifiée. Si au moins on faisait des coroscanner dans ses études...
Effectivement l'activité sportive n'immunise contre rien. Elle diminue le risque de... mais ne l'annule pas. Comme d'ailleurs n'importe quelle prise en charge. L'évènement CV aigu est un évènement stochastique dont la probabilité de survenue dépend notamment de l'activité physique et des facteurs de risque (mais pas que) ; mais à l'échelle individuelle, c'est toujours 0 ou 1 : ou tu n'as pas fait ou tu as fait